Ma quête de reconnaissance

Un récit personnel de Patrice Petitqueux expliquant pourquoi il s’est tourné vers la Reconnaissance Ouverte.

J’appartiens à cette catégorie de personnes dont le parcours professionnel et le cursus de formation est plutôt atypique et loin d’être rectiligne ! J’appartiens à cette catégorie de personnes qui aiment se construire au fil des expériences et des rencontres plutôt qu’au fil des formations : l’informel d’abord, le formel ensuite.

A la sortie de mes années lycées, je ne savais réellement où m’orienter. J’aimais les chiffres et les mathématiques mais j’aimais le sport aussi. Par la force des choses, je me suis orienté vers une formation en comptabilité. Trois années durant lesquelles j’ai éprouvé davantage de plaisir à côtoyer mes camarades qu’à boire le savoir enseigné ! Après l’obtention de mon diplôme, j’ai donc voulu changer d’orientation.

J’ai rejoint la Fédération des Oeuvres Laïques, dans le cadre de mon service civil, où j’ai travaillé pendant deux années et obtenu un diplôme d’animateur. Cette expérience exaltante, accompagnée de mon engagement bénévole dans le milieu associatif ont suscité chez moi de “nouvelles” aspirations : la jeunesse, le sport et l’éducation populaire.

Après quatre années passées en qualité “d’agent d’animation et de développement” auprès d’un public jeune, période pendant laquelle j’ai obtenu d’un diplôme d’Etat d’éducateur sportif, j’ai rejoint l’université -par le biais d’une VAE (Validation des Acquis de l’Expérience)- où j’ai obtenu une licence en Entraînement et Management du Sport …. pourtant sans trop de perspectives professionnelles.

J’ai par la suite trouvé un emploi provisoire d’assistant administratif et d’éducation dans un établissement scolaire, emploi qui m’a permis de me préparer tant bien que mal au concours d’accès aux fonctions d’enseignement. Six années à tenter d’accéder au Graal ! Mais rien n’y a fait !  Force est de constater que je ne suis pas une machine à concours. Mais cette expérience n’a pas été vaine, car chaque expérience est bénéfique, quoiqu’on en dise. Les liens tissés durant mon emploi et les compétences développées m’ont permis, par un concours de circonstances (Ah ! Tiens ! Voilà au moins un concours que j’aurai réussi !), de trouver un nouvel emploi … d’enseignant !

Le début de ma quête de reconnaissance

En 2010, la Suisse -et plus précisément le collège de Vallorbe dans le canton de Vaud- m’a ouvert ses bras. A moi, comme à d’autres, qui n’étions pas au bénéfice d’un titre pédagogique, et qui plus est, dans un métier aussi verrouillé par les institutions ! Je ne peux être qu’infiniment reconnaissant envers les personnes qui m’ont accordé leur confiance et celles qui m’ont accompagnées durant ce périple. Car, en effet, c’est à cette même époque de ma vie que va commencer ma “quête de reconnaissance (institutionnelle)” ! En voici le récit :

La loi sur le personnel de l’Etat Vaudois (LPers) autorise un cumul limité de contrats à durée déterminée, notamment dans le cas de personnel non formé. Ainsi, grâce au soutien de la direction de mon établissement, j’ai pu exercer “librement” entre 2010 et 2014 mes fonctions dans près de 7 disciplines différentes … avec pour seuls bagages mon expérience professionnelle et les quelques apports théoriques issus de ma préparation au concours d’enseignant en France. Il a fallu travailler dur et beaucoup dans les deux ou trois premières années, avec l’aide de collègues bienveillants ! Mais le jeu en a valu la chandelle, car j’ai pu prouver la valeur du travail effectué et affirmer mes compétences pédagogiques, didactiques et humaines auprès de ma direction et de mes collaborateurs. Le Directeur de l’époque a donc maintenu sa confiance en moi pour les années qui ont suivies et, ainsi, avons-nous pu négocier avec la Direction Générale de l’Enseignement Obligatoire (DGEO), un contrat à durée indéterminée (CDI). Ce contrat incluait toutefois  une clause résolutoire à deux volets m’obligeant au final à obtenir un titre pédagogique pour poursuivre l’exercice de mes fonctions (ce qui, somme toute, parait logique si l’on veut se simplement conformer aux textes de loi !). Et pour obtenir ce CDI, il me fallait donc arriver à m’inscrire dans une formation enseignante en Suisse. Et c’est là où l’engrenage se grippe une première fois !

Dans une volonté de pérenniser mon poste, j’avais déjà entrepris -entre 2010 et 2014- une démarche pour intégrer la formation pédagogique à la HEP de Lausanne. Mais la filière universitaire que j’avais choisie en France et mon parcours personnel ne me permettaient pas de bénéficier d’une pleine reconnaissance en matière de crédits ECTS. Ainsi, afin de pouvoir accéder à la formation pédagogique indispensable à l’obtention de mon CDI, il me fallait (re)passer la bagatelle de 15 modules de formation sportive à l’université. Me résignant à l’idée de suivre ces modules, j’ai fait une demande d’inscription à l’UNIL. Ma demande a pourtant été rejetée et j’ai été déclaré “non immatriculable” pour le motif suivant : “Après avoir examiné votre dossier, nous retenons que vous avez obtenu votre licence après une seule année d’études auprès de l’Université de Bourgogne, puisque vous avez été admis directement en 3ème année par le biais d’une procédure VAE. Votre cursus présente dès lors une différence substantielle par rapport aux programmes de bachelors proposés par l’Université de Lausanne, qui nécessitent l’acquisition de 180 crédit ECTS, soit la réussite de 3 années d’études universitaires, sans VAE. Votre licence n’est ainsi pas jugée équivalente à un bachelor délivré par l’Université de Lausanne. Au vu de ce qui précède, le Service des immatriculations et inscriptions constate que vous ne remplissez malheureusement pas les conditions d’admission au programme de complément de formation et décide par conséquent de refuser votre demande”.

Comment ça ? Ma licence n’est pas jugée équivalente par l’Université de Lausanne ? Pourtant, lorsque j’ai formulée ma demande d’entrée à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne (HEPL) pour intégrer la formation enseignante du secondaire 1, l’analyse de mon dossier précisait : “La Licence sciences et techniques des activités physiques et sportives, mention entraînement sportif de l’Université de Dijon, obtenue en 2003 est reconnue comme équivalente à un bachelor délivré par une haute école suisse”. Que fallait-il alors comprendre ? Tout simplement, sans doute, que l’accès à la formation dans le canton de Vaud, au regard de ma situation “atypique” ou non-conventionnelle, était une voie sans issue.

Je me suis donc tourné avec espoir vers le canton voisin de Neuchâtel, car il y avait mon CDI à la clé. Nous sommes en 2014. Et là, surprise ! Alors que mes démarches dans le canton de Vaud ont pris plus de deux ans pour arriver à la fâcheuse conclusion mentionnée précédemment, les formalités entreprises auprès de la HEP de BEJUNE et de l’UNINE n’ont pris que trois semaines ! Et, qui plus est, elles ont été couronnées de succès ! La formation enseignante dans le domaine sportif à la HEP de BEJUNE (Berne Jura Neuchâtel) est une formation pluridisciplinaire (deux ou trois disciplines enseignables), contrairement au canton de Vaud. Si ma licence française a été validée pour la partie sportive, il m’a fallu tout de même m’inscrire à l’Université de Neuchâtel (UNINE) pour obtenir les 36 ECTS en mathématiques et les 40 ECTS en géographie me permettant de remplir toutes les conditions d’admission à la HEP. Mais, point positif, je signais enfin mon CDI ! Pourtant, la joie ne fut que de courte durée, l’engrenage se grippait une seconde fois !

En effet, suivre des compléments de formation aussi chargés, en jonglant avec un poste d’enseignant occupé à 75% et une vie de famille agrémentée de 3 enfants en bas âge, me paraissait être la voie la plus directe vers un burn-out total sur tous les plans ! D’autant que mes premiers cours de mathématiques de niveau universitaire, non seulement, m’ont plongés dans de profonds moments de solitude (de ceux dont on se souviendra encore des années après), mais me donnaient le sentiment d’être vides de sens ! “Ce ne sont pas des compléments universitaires dont j’ai besoin, mais d’intégrer directement une formation pédagogique ! J’enseigne depuis 5 ans maintenant !” me disais-je alors. Et quand on cherche trop à ramer à contre-courant, on finit souvent par se laisser emporter par les flots. Pour ma part, j’ai préféré quitter la barque avant la noyade !

Ainsi, ai-je tenté un dernier baroude d’honneur (du moins le pensais-je) pour sauver ma situation et conserver mon emploi. En 2017 -année butoir du premier volet de la clause de formation spécifiée dans mon contrat – je tente de nouveau d’accéder à la HEP de Lausanne en sollicitant une entrée sur dossier. Je m’adresse donc directement au conseil de direction de cette institution en mettant en avant mes sept années d’enseignement (avec maîtrise de classe) et la satisfaction de mes deux directeurs consécutifs (courriers à l’appui). Après avoir essuyé peu avant un refus catégorique par la DGEO relatif à une demande de renégociation de mon contrat, je me suis vu refuser de nouveau l’entrée à la HEPL ! Les voies de la formation étaient bel et bien closes !

Reconnaissance des compétences informelles

J’aurai pu lâcher prise ! Mais, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! Alors ai-engagé mes dernières forces dans ce que je nommerai “l’ultime recours administratif” : le Département de la Formation, de la Jeunesse et de la Culture. On devinera aisément la réponse obtenue en lisant ce passage extrait du courrier écrit le 23 juin 2017 des mains de la Cheffe du DFJC du moment :

“ […] Par ailleurs, ni vos compétences, ni la qualité de votre travail ne sont en l’occurrence remises en cause au regard des documents annexés à votre courrier.

Néanmoins, le cadre légal pose le principe du titre pédagogique reconnu par la CDIP. Il en découle qu’en l’état actuel de la législation, les compétences pratiques acquises sur le terrain ne peuvent pallier à l’absence du titre exigé.

En effet, la DGEO valorise l’expérience professionnelle de ses collaborateurs, premièrement à l’engagement, lors de la fixation du salaire initial et, ensuite, tous les ans par l’octroi d’un échelon supplémentaire selon les règles prévues par les règlements et directives en matière de politique salariale au sein de l’Etat de Vaud. […]”

Mon récit s’achève sur les quelques lignes qui en disent long sur ce que peut être la reconnaissance institutionnelle des compétences informelles …